Goraksha-nâtha, le plus illustre disciple de Matsyendra-nâtha, répandit la voie du Hatha-yoga à travers toute l'Inde.
Go signifie "vache", et est appliqué aux organes des sens; rakshâ veut dire garde, surveillance, protection; Goraksha est à la fois celui qui protège les vaches et celui qui est protégé par les vaches.
Un texte de bhakti marathe, Bhakta-vijaya par Mahîpati, raconte ce mythe sur la naissance de Goraksha: un jour, Matsyendra-nâtha, pendant sa tournée d'aumônes, s'arrêta devant la maison d'un riche marchand, et cria "Alakh" (du sanscrit alakshya, l'Indéfinissable, l'Ineffable, désignation apophatique du Brahman suprême), auquel on reconnaît les Yogin aux oreilles percées. La maîtresse de maison sortit en apportant son offrande, et fut étonnée de sa splendeur. Elle lui fit une requête: "je n'ai pas d'enfant, faites-moi la grâce de m'indiquer comment je pourrais en avoir un". Matsyendra bienveillant prit une poignée de cendres sacrées, y imposa la puissance d'un mantra, et les versa dans les mains de la femme, en disant :" dès l'instant où vous absorberez ces cendres, mêlées à un peu d'eau, vous concevrez un fils". Et il s'éloigna rapidement. La femme déposa les cendres dans son sanctuaire domestique, puis elle alla consulter ses amies et confidentes du voisinage. Celles-ci jetèrent le doute en elle, la persuadèrent que ce n'était qu'un tour de magie noire, et elle se débarrassa des cendres. Douze ans plus tard, Matsyendra surgit à nouveau à la porte de cette maison, et à son cri: "Alakh", la femme sortit. Matsyendra lui dit: "permets-moi de voir sur-le-champ le fils qui t'est né après que je t'ai donné les cendres sacrées." Elle resta silencieuse, craignant d'être maudite. Matsyendra reprit: "dis-moi si tu as avalé les cendres ou si tu les as jetées quelque part?"—"J'ai écouté les avis des autres, circonvenue par le doute, je les ai jetées dans le foyer, puis elles ont été collectées dans ce large fossé où les fermiers mettent leur bouse de vache.
Matsyendra s'approcha du monceau de fumier et appela d'un voix forte : "Alakh". Du sol sortit une voix: "O commandement de mon Guru", et un jeune garçon de douze ans, glorieux et lumineux, doué de toutes les marques du génie, émergea à cet endroit, non souillé par la bouse. Matsyendra le prit par la main et l'emmena. Comme il avait vécu dans un mélange de bouse et de cendres pendant douze ans, il fut nommé avec affection Goraksha-nâtha.
Cela explique la relation étroite entre Goraksha et la vache et tout ce qu'elle représente, mais aussi son tempérament ascétique, son indifférence envers les femmes. Rejeté par celle qui devait être sa mère humaine, par un juste retour des choses, il fut capable d'ignorer le sexe féminin et de ne pas tomber dans les pièges tendus par celui-ci.
Goraksha-nâtha est l'un des neuf Nâthas selon le Mahârnava-tantra, l'un des douze Gurus humains (mânava-guru) selon le Kaulâvalî-tantra et le Shyâmâ rahasya, l'un des douze Kapâlika selon le Shâbara-tantra. Il est placé en tête, avec Matsyendra, de la liste des quatre-vingt-quatre siddhas par le Varna-ratnâkara, la Hatha-yoga-pradîpikâ et d'innombrables autres textes. La tradition marathe fait descendre sa lignée spirituelle jusqu'à Gaîni-nâth, Nivritti-nâth, Dnyandev, Vishoba et Nâmdev. Même en pays tamoul, Goraksha est célébré par Tirumular dans son Tirumantiram. A l'extrême Nord, les adeptes tibétains du bouddhisme Mahâyana reconnaissent en lui l'un des quatre-vingt-quatre siddhas de la voie Sahajayâna, affirment qu'il transmit son inspiration spirituelle à d'innombrables disciples dans tous les pays, et qu'il eut douze disciples prééminents.
Goraksha-nâtha est l'auteur d'innombrables ouvrages: une vingtaine de textes sanscrits, parmi lesquels la "Centurie" (Goraksha-shataka), le "Guide des principes des Siddha" (Siddha-siddhânta-paddhati), « l’Eveil à l’immortel » (Amaraugha-prabodha), etc., ainsi que des textes en vieux Hindi et en langues vernaculaires.